« Révolution » géopolitique ?

Trump © Gage Skidmore Flickr

ÉDITORIAL

Depuis l’élection de Donald Trump, beaucoup d’analystes évoquent une « révolution » géopolitique et un séisme pour l’Europe qui réalise soudainement que l’allié américain n’est pas si fiable qu’on le croyait. Assurément, les lignes bougent et nous vivons sans doute l’un de ces moments historiques qui marquent les changements d’épo­que. Gardons-nous cependant de surestimer les ruptures, nous sommes encore au cœur d’événements en cours, sans guère de recul, il est donc difficile de discerner les continuités fondamentales, bien plus persistantes qu’il n’y paraît a priori. Concentrons-nous sur quelques points essentiels.

1. Le manichéisme qui voit le monde partagé entre « bons » (forcément nous et nos alliés) et « méchants » (Poutine, Trump et les « populistes ») n’aide pas à comprendre les situations complexes et conduit à de mauvaises décisions. On en a un cas d’école avec le conflit en Ukraine qui révèle les incohérences et l’impuissance de l’Union européenne. Que les États européens aient défendu le pays militairement agressé était évidemment juste, mais ils l’ont fait aveuglément et inconditionnellement, sans jamais essayer de prendre en compte les raisons qui ont justifié la guerre selon les Russes, voyant juste en Poutine un fou dangereux. Ce faisant, ils apparaissaient comme belligérants de l’arrière – que les Ukrainiens se fassent tuer en masse, mais pas nous – sans avoir les moyens militaires d’une telle option et, plus grave, ils s’empêchaient de jouer le rôle naturel de médiateurs pour arrêter au plus vite une guerre meurtrière et fratricide, laissant d’autres œuvrer pour la paix. Résultat ? Quand les États-Unis, dont le soutien à l’Ukraine est vital, décident d’agir seul avec la Russie pour régler le conflit, l’UE se retrouve sur la touche sans aucun moyen d’influer le cours des événements.

2. M. Macron, jouant honteusement sur la peur, voudrait nous faire croire que la Russie présente une menace existentielle pour la France. Un pays, ayant subi d’importantes pertes humaines et fatigué militairement, qui n’a pas réussi à faire plier son proche voisin qui lui résiste vaillamment depuis trois ans, aurait des velléités de passer sur la Pologne et l’Allemagne pour s’attaquer à la France ? Et pour quelles raisons ? Si l’on s’était interrogé sur celles qui ont motivé la guerre russe en Ukraine, on comprendrait peut-être que l’ambition de Poutine n’est pas d’annexer Paris.
Où se trouve aujourd’hui la menace existentielle pour la France ? Du côté de la Russie ou du côté du communautarisme islamique qui, de l’intérieur, s’étend sans cesse par l’arrivée d’une immigration massive incontrôlée et impose progressivement ses lois et ses mœurs à un pays médusé, lâché par ses élites ? Le nombre d’Algériens présents sur le territoire est tel que M. Macron n’est plus libre de sa politique à l’égard d’Alger, craignant un soulèvement des banlieues s’il prenait les mesures qui s’imposent pour répondre aux humiliations que le gouvernement de M. Tebboune nous fait subir.

3. Beaucoup espèrent que la crise des relations entre les États-Unis et l’Europe fasse sortir l’UE de sa léthargie et qu’elle s’émancipe enfin de l’Oncle Sam. Louable ambition, mais guère réaliste à court terme. Traumatisés par les deux guerres mondiales, les Européens ont renoncé à la puissance militaire et s’en sont remis aux Américains pour leur protection : pas facile de sortir d’un tel esprit de vassalité après 70 ans de paix et de confort ! Le général de Gaulle l’avait compris, c’est pourquoi il avait doté la France d’une dissuasion nucléaire et l’avait sortie du commandement intégré de l’Otan. Mais il fut trahi par tous ses successeurs qui n’ont vu de salut que dans l’UE et l’Alliance atlantique sous domination américaine.
Si l’Europe veut s’affranchir des États-Unis, c’est le fonctionnement de l’UE et son état d’esprit qu’il faut profondément réformer. L’UE est nécessaire, mais elle ne peut être forte que de la force de ses nations. La priorité est la simplification d’une organisation opaque et anti-démocratique en vue de respecter la souveraineté des nations conformément au principe de subsidiarité.

4. Et cela nous amène au dernier point. Ces temps troublés se déroulent alors que nos démocraties traversent la crise la plus grave de leur histoire. Jamais les peuples ne se sont sentis aussi peu représentés dans les instances politiques. La fracture est béante et d’autant plus inquiétante que l’individualisme triomphant, détaché de toute limite morale objective (loi naturelle), fait de chaque citoyen un atome isolé, un « ayant droit » libre de suivre tous ses désirs, ce qui non seulement brise le lien social, mais fait disparaître toute notion de bien commun – chacun étant juge du bien lui-même qui n’a donc plus aucune consistance. Dans ce contexte de déréliction, les « populismes » tant honnis, malgré toutes leurs limites ou leurs excès, révèlent une saine réaction des peuples.

Christophe Geffroy

© LA NEF n°379 Avril 2025