
ÉDITORIAL
Assurément l’élection de Léon XIV fut une surprise. Une agréable surprise ! Homme de foi et de prière, il attire d’emblée la sympathie, il apparaît sincèrement humble, doux et bon, mais ferme et sachant ce qu’il veut. Ce sont de bons présages, car ce sont des qualités essentielles que l’on attend d’un pape. Il est heureux que son élection, aux dires des cardinaux, ait été le fruit d’un conclave rapide et harmonieux, cela signifie qu’il a d’emblée rassemblé sur son nom par-delà les clivages, ce qui devrait contribuer à ranimer ou faire vivre une communion et une unité nécessaires à la vie de l’Église.
Grandes lignes du pontificat
Dès ses premières interventions, il a fixé les grandes lignes de son pontificat, et là aussi on ne peut qu’admirer la pertinence de ses propos et le fait d’un verbe en retrait et pondéré qui laisse prévoir une communication sobre et maîtrisée. Tout d’abord, il remet au centre de tout l’annonce du Christ, la vocation évangélisatrice de l’Église : « le retour à la primauté du Christ dans l’annonce ; la conversion missionnaire de toute la communauté chrétienne » (1). C’est la raison d’être de l’Église, la mission que le Christ lui a confiée, urgence d’autant plus impérieuse dans un monde qui ignore ou rejette Dieu. On l’oublie parfois quand on voit des analystes, réfléchissant aux priorités du nouveau pontificat, mettre en avant les préoccupations « autoréférencielles » sur des « urgences » secondaires comme les questions institutionnelles ou l’agenda progressiste visant à réformer une Église jugée trop réactionnaire.
Être chrétien dans un monde qui ne l’est plus n’est pas toujours aisé, mais cela n’en rend la mission que plus urgente : « Aujourd’hui encore, nombreux sont les contextes où la foi chrétienne est considérée comme absurde, réservée aux personnes faibles et peu intelligentes ; des contextes où on lui préfère d’autres certitudes, comme la technologie, l’argent, le succès, le pouvoir, le plaisir. Il s’agit d’environnements où il n’est pas facile de témoigner et d’annoncer l’Évangile, et où ceux qui croient sont ridiculisés, persécutés, méprisés ou, au mieux, tolérés et pris en pitié. Et pourtant, c’est précisément pour cette raison que la mission est urgente en ces lieux, car le manque de foi entraîne souvent des drames tels que la perte du sens de la vie, l’oubli de la miséricorde, la violation de la dignité de la personne sous ses formes les plus dramatiques, la crise de la famille et tant d’autres blessures dont notre société souffre considérablement » (2).
Ensuite, le thème de la paix est apparu dès son premier discours au balcon de Saint-Pierre le jour de son élection, le 8 mai : « C’est la paix du Christ ressuscité, une paix désarmée et désarmante, humble et persévérante. Elle vient de Dieu, Dieu qui nous aime tous inconditionnellement », s’est exclamé le nouveau pape, qui est revenu sur ce thème dans son discours aux membres du corps diplomatique à qui il expliquait que les « trois mots-clés qui constituent les piliers de l’action missionnaire de l’Église et du travail diplomatique du Saint-Siège » sont non seulement la paix, mais aussi la justice et la vérité (3).
La paix ici évoquée est d’abord celle dans le monde, mais le pape rappelle que, « dans la perspective chrétienne, la paix est avant tout un don, le premier don du Christ », et qu’elle « se construit dans le cœur ». Et cette paix est aussi, dans l’esprit de Léon XIV, celle qui doit régner dans l’Église entre membres du même Corps mystique, paix qui rime ici avec unité : « Cela frères et sœurs, je voudrais que ce soit notre premier grand désir : une Église unie, signe d’unité et de communion, qui devienne ferment pour un monde réconcilié » (4). Paix et unité, on suppose qu’il les recherchera avec les « traditionalistes ». Mais, en homme prudent, vraisemblablement le fera-t-il en prenant le temps de connaître et comprendre ce dossier délicat.
Nécessité de dire la vérité
La justice ? La référence à Léon XIII, pape de la doctrine sociale, est évoquée face aux « déséquilibres et injustices qui conduisent… à des sociétés de plus en plus fragmentées et conflictuelles ». Et Léon XIV place le respect de la famille, cellule de base de la société, comme priorité de l’ordre politique : « construire des sociétés civiles harmonieuses et pacifiées, cela peut être accompli avant tout en misant sur la famille fondée sur l’union stable entre un homme et une femme. »
Enfin la vérité qui parfois dérange, mais avec laquelle il n’est pas possible de transiger, même si cela suscite moquerie ou incompréhension, comme on le voit notamment dans le domaine moral où le relativisme ambiant a fait perdre tout repère stable : « Pour sa part, l’Église ne peut jamais se soustraire à son devoir de dire la vérité sur l’homme et sur le monde, en recourant si nécessaire à un langage franc qui peut au début susciter une certaine incompréhension. »
On entend souvent dire que l’Église est en voie de disparition en Occident. Si tel était le cas, pourquoi un tel engouement autour de la mort d’un pape et l’élection d’un nouveau pontife ? L’Église est toujours présente et beaucoup attendent d’elle bien plus qu’on ne le pense.
Christophe Geffroy
(1) Discours au collège cardinalice, le 10 mai 2025.
(2) Homélie de la messe pro Ecclesia, le 9 mai 2025.
(3) Sauf mention contraire, les autres citations sont extraites du discours au corps diplomatique, le 16 mai 2025.
(4) Homélie de la messe d’intronisation, le 18 mai 2025.
© LA NEF n°381 Juin 2025