ÉDITORIAL
Il paraît que 80 % des Français pensent que les choses allaient mieux dans les années 1970 et jugent ainsi la France en déclin. Point de vue non partagé par Luc Ferry qui, dans sa chronique du Figaro du 15 décembre dernier, voudrait nous convaincre que, à bien des égards, la situation s’est améliorée depuis cinquante ans. Avouons que sa démonstration est peu convaincante. S’il reconnaît les arguments des « déclinologues » – « la désindustrialisation, le système de santé en berne, l’école en panne, le wokisme, l’islamisme, l’insécurité, la dénatalité, l’immigration incontrôlée, les déficits publics, l’inflation… » –, il ne leur oppose que la croissance continue du niveau de vie et le climat idéologique, plus « irrespirable » hier avec un PCF à 25 % qu’aujourd’hui. Dommage, car dans cette liste de maux, il y a des sujets préoccupants bien réels. Nous voudrions ici nous arrêter sur trois éléments essentiels systématiquement minimisés.
Trois sujets minimisés
La déconstruction anthropologique, d’abord, qui est sans précédent. Certes, j’entends bien que pour beaucoup elle est un programme d’avant-garde, si bien que chaque « victoire », comme le « mariage pour tous » ou la PMA hier et l’euthanasie ou la GPA demain, marque un « progrès ». Mais les thuriféraires de ces « avancées sociétales » mesurent-ils vraiment le monde dans lequel ils nous font basculer ? Où l’homme veut pouvoir se construire lui-même, jusque dans son identité sexuelle, sans nulle contrainte extérieure ? Où son hubris ou désir d’autonomie repousse toute limite, comme s’il était un être issu de rien, sans parents ni racines d’aucune sorte. Est-on vraiment sûr qu’un tel homme trouvera ainsi le bonheur en allant à l’encontre de la sagesse cumulée de plusieurs millénaires de civilisation ?
L’immigration, ensuite, qui, par l’ampleur des flux incontrôlés depuis des décennies, a pris une dimension inextricable. Elle a installé en France et en Europe des populations étrangères à nos cultures – musulmanes pour une majorité d’entre elles – et sans volonté ou moyen d’assimilation pour la plupart – le terreau d’accueil, nos pays doutant d’eux-mêmes, ne s’y prêtant guère. Résultat ? Ces populations, livrées à elles-mêmes, vivent dans un communautarisme qui, souvent, échappe aux lois, menace l’unité nationale et la paix civile.
Dans un tel contexte favorisé par la mondialisation, les fractures sociales augmentent malgré la croissance globale du niveau de vie ces trente dernières années. La répartition de la richesse est plus inégalitaire qu’auparavant et le fossé se creuse entre le haut et le bas de la société, ainsi qu’un Christophe Guilluy ne cesse de le montrer depuis plus de dix ans.
Troisième élément, enfin, la politique étrangère, dont le général de Gaulle affirmait qu’elle faisait la grandeur de la France. Malgré quelques soubresauts ici ou là, le temps de la grandeur est bien loin. On en a, hélas ! un triste exemple avec l’Arménie. Ce pays ami subit depuis plus de deux ans des agressions de l’Azerbaïdjan, soutenu par la Turquie, contre le Haut-Karabakh dans une indifférence internationale assez générale. Nouvel épisode de ce conflit, l’Azerbaïdjan a établi sans préavis un blocus du Haut-Karabakh, menaçant 120 000 habitants de mourir de froid et de faim. Et, pendant ce temps, la France se tait et l’Europe négocie avec l’Azerbaïdjan un contrat gazier pour compenser le boycott du gaz russe (lequel, ironie de l’histoire, reviendra peut-être chez nous via l’Azerbaïdjan). Ukraine et Arménie, Russie et Azerbaïdjan, deux poids, deux mesures ? En d’autres temps, la France aurait réagi sans laisser l’Union européenne se déshonorer de la sorte.
Religion et déclin
Mais, finalement, le principal symptôme du déclin n’est-il pas ailleurs, sur un autre plan, celui de la religion ? Certes, là encore j’entends bien que nos humanistes en loge ne vont pas se plaindre du recul du christianisme en Europe auquel ils ont contribué. Il est cependant difficile de voir dans le matérialisme triomphant un gain pour la civilisation occidentale qui se renie elle-même et se trouve désarmée face à des hommes habités par une foi conquérante.
La déchristianisation s’est grandement accélérée depuis quelques décennies et le contexte des abus sexuels dans l’Église n’arrange rien. Il demeure néanmoins des forces vives dans le catholicisme français qu’il ne faut pas sous-estimer : songeons aux mouvements de jeunes (dans les domaines de l’évangélisation, de la spiritualité, de l’humanitaire, du scoutisme…), aux écoles encore catholiques (beaucoup hors contrat), aux communautés religieuses ou sacerdotales, traditionnelles ou non, qui suscitent toujours des vocations en ayant maintenu, contre vents et marées, un haut degré d’exigence. Un petit signe encourageant ne trompe pas sur la vitalité de cette partie de l’Église : malgré le contexte très défavorable, les dons des fidèles ont augmenté de 10 % en 2021.
Christophe Geffroy
© LA NEF n°354 janvier 2023