Les récentes révélations autour des frères Philippe et de Jean Vanier nous interpellent fortement. Que mettre en cause ? Quelle leçon en tirer ?
Cela a commencé par une petite musique de fond avant de devenir un bruit assourdissant : l’origine des abus dans l’Église catholique serait à rechercher, pêle-mêle, dans sa structure hiérarchique, sa morale traditionnelle et sa théologie du sacerdoce. Et les partisans de cette thèse de dénoncer les franges conservatrices de l’Église et de renvoyer à un certain nombre d’affaires retentissantes, la dernière en date étant celle des frères Philippe et de Jean Vanier.
C’est un fait que la Communauté Saint-Jean a longtemps représenté le « pôle conservateur » d’une Église de France profondément déstabilisée après le concile ; qu’elle a servi de refuge à nombre de jeunes désireux d’embrasser la vie sacerdotale ou religieuse mais qui répugnaient à rejoindre des séminaires diocésains jugés trop progressistes. Pour autant, cette volonté de faire porter le chapeau des abus à la sensibilité conservatrice de l’Église est détestable et constitue même un véritable « abus des abus ».
D’abord, l’évidence commande de rappeler que ce n’est pas conformément à la morale traditionnelle de l’Église mais en violation flagrante de celle-ci que les frères Philippe et Jean Vanier ont commis leur forfait : ni les actes posés ni, a fortiori, les folles théories mystico-érotiques qui les inspiraient ne peuvent trouver une quelconque justification dans le catéchisme de l’Église, ne serait-ce que dans une seule ligne de celui-ci. D’ailleurs, conscients de la parfaite hétérodoxie de leurs théories (rien de moins que l’inceste entre Marie et Jésus), les intéressés se sont toujours gardés de les diffuser à quiconque, à l’exception d’une poignée de fidèles gagnés à ces folies.
Serait-ce alors, comme il est parfois soutenu (notamment dans l’Église allemande), la trop grande rigueur de la morale catholique qui, en quelque sorte aurait créé une ambiance favorable à la commission des abus ? Mais là encore, la thèse peine à convaincre : par quel mécanisme détourné l’attachement de l’Église à l’indissolubilité du mariage, sa condamnation de l’avortement, ses réserves à l’égard de la contraception ou encore son jugement négatif de l’homosexualité pourraient-ils avoir été des facteurs facilitant les abus ? En d’autres termes, peut-on sérieusement croire que, en l’absence de ces principes, la dangerosité des frères Philippe et de Jean Vanier aurait été moindre ? Poser la question est déjà y répondre.
Peut-être existerait-il alors, à tout le moins, une corrélation entre sensibilité conservatrice et fréquence des abus ? Que, plus un clerc est conservateur, plus sa dangerosité serait élevée, et inversement ? On conseillera toutefois la plus grande prudence à celui qui entendrait brandir cet argument, car il ne manquera pas de contradicteurs pour lui rappeler, par exemple, que, selon le rapport de la CIASE, un nombre élevé d’abuseurs a pu être observé non seulement chez les Frères de Saint-Jean (40) mais également chez les Frères des écoles chrétiennes (70), les Jésuites (64), les Spiritains (29) ou encore les Dominicains (21). Bien entendu, une même prudence ne saurait être que trop suggérée à ceux qui, en sens inverse, entendraient régler à trop bon compte le drame des abus sur le dos des progressistes, en se bornant à l’imputer de manière générale et exclusive aux dérives de Mai 68.
Quelles leçons en tirer ?
Reste qu’il est d’ores et déjà possible, à la lumière des rapports établis à la demande de l’Arche et des Dominicains, de tirer quelques leçons provisoires de l’affaire Philippe-Vanier. D’abord, si les pratiques de la confession et, plus généralement, de la direction spirituelle ne constituent pas, en tant que telles, des facteurs d’abus, il est clair qu’elles peuvent devenir des armes redoutables entre les mains de ceux qui – clercs ou laïcs – entendent les détourner pour commettre des agressions. Il est donc impératif, pour éviter tout abus de pouvoir et mainmise spirituelle, de subordonner ces pratiques à des conditions rigoureuses, relatives par exemple aux lieux où elles peuvent se dérouler et surtout aux personnes autorisées à les mettre en œuvre. Ensuite, et une fois de plus, cette affaire met en lumière la piteuse inaction de la hiérarchie, aussi bien de Rome, dont les archives détenaient les condamnations infligées aux frères Philippe dans les années 50, que de l’Ordre dominicain qui ne pouvait ignorer le passé de ces derniers et les a laissé non seulement vivre pendant des décennies en situation d’exclaustration (hors des couvents) mais également fonder des familles religieuses, ou encore des évêques auxquels il revient en premier lieu de veiller au respect du Droit canon dans leurs diocèses. Face à un catholicisme plus divisé que jamais, affaibli par ces scandales, le temps n’est cependant pas aux recherches de boucs émissaires mais à la quête de l’unité dans la vérité.
Jean Bernard
© LA NEF n° 356 Mars 2023