François-Xavier Bellamy ©DR

Entretien avec François-Xavier Bellamy : espérer, même en politique

François-Xavier Bellamy, chef de file des députés LR/PPE au Parlement européen, publie ce 11 octobre un nouveau livre : Espérer. À cette occasion et alors qu’il organise une grande Nuit de la philo le 9 octobre à l’Olympia, nous l’avons rencontré, pour qu’il nous parle de son parcours, de sa vision du politique, de son expérience de député européen et de son livre.

François-Xavier Bellamy et la politique

La Nef – Avant de vous jeter dans la bataille politique, vous avez tenu un rôle intellectuel et pris part à la bataille des idées, qui se situe en amont : pourquoi avoir changé d’arène ?
François-Xavier Bellamy – Je crois beaucoup aux vocations de situation. Pour ma part, je n’aurais jamais imaginé être parlementaire européen un jour ! Et c’est parce que j’ai d’abord voulu contribuer au débat d’idées que l’on m’a un jour proposé de faire le grand saut dans la politique – ce qui était, au fond, une occasion de prolonger cet engagement intellectuel.
Car on reste, dans le métier parlementaire, au cœur du travail des idées. Le mandat parlementaire est aussi un métier de la parole – son nom l’indique –, comme l’est le métier de professeur. Et je constate avec quelques années de recul que ce qui aura peut-être le plus compté dans ces années de travail au Parlement, ce ne sont pas seulement des arbitrages obtenus ou des amendements gagnés, ce sont aussi des interventions et des prises de paroles qui j’espère auront pu contribuer à agir sur le temps présent. Comme le dit Arendt, pour la politique, la parole est une action.

Selon vous, on peut donc être à la fois un homme politique partisan et un intellectuel libre ? Simone Weil disait quant à elle que l’engagement politique dans le cadre d’un parti risquait de porter atteinte au travail de l’intelligence, à l’esprit critique, à la liberté de penser…
Il faut lire et relire cette critique de Simone Weil car elle est un puissant avertissement pour ceux qui s’engagent dans des partis. Le risque est toujours d’en devenir l’otage, de céder à la partialité ou au sectarisme qui défend la ligne du parti contre la vérité même, ou contre le bien du pays. Mais je crois aussi que l’engagement dans les partis est nécessaire, si l’on veut donner leur place aux idées qu’il nous faut défendre dans la vie publique. La Constitution de notre pays précise que les partis sont ce par quoi l’opinion politique s’exprime ; il est nécessaire de ne pas les déserter – tout en gardant sa lucidité.
Et il me semble que le remède absolu pour cela, c’est de cultiver tous les moyens de sa liberté intérieure. La liberté intérieure a des conditions de possibilité. Certaines sont intellectuelles, spirituelles, culturelles : il faut continuer de lire, de travailler, pour ne pas devenir les simples répétiteurs d’un dogme préétabli. Et cette liberté intérieure a aussi ses conditions matérielles ; pendant toutes ces années de mandat, j’ai continué de me dire que la politique pouvait s’arrêter du jour au lendemain pour moi, sans que cela soit un réel problème. Il faut vivre avec cette certitude, sous peine d’être contraint de se plier à toutes les contradictions pour pouvoir garder une place. Pour ma part, si la politique s’arrête, je retournerai à mon métier de professeur que j’ai beaucoup aimé ; cette certitude me rend libre dans les choix que je dois faire. Le grand danger ce ne sont pas les partis, c’est l’asservissement aux partis qui naît de la dépendance absolue sur le plan intellectuel, mais aussi sur le plan matériel – dépendance à laquelle beaucoup dans la classe politique actuelle se sont malheureusement résignés.

Vous avez une certaine façon de faire de la politique qui vous identifie fortement (rester incontestable dans le propos, accepter de prendre des positions radicales mais jamais outrancières, garder indemne une honnêteté intellectuelle qui est d’ailleurs reconnue par vos pairs de tous bords). Un journaliste avait écrit de vous : dans un monde où tout le monde crie, on l’entend parce qu’il parle doucement. Est-ce votre façon d’être ou bien une règle d’action explicite que vous vous donnez ?
Je n’ai aucune prétention à incarner un modèle particulier ! Mais il me semble que, quand on veut défendre des idées qui ne sont pas toujours majoritaires, il faut s’attacher d’autant plus à une exigence de rigueur intellectuelle. Je pense, pour reprendre la belle formule d’Alain Finkielkraut, qu’on ne répond pas au politiquement correct par le politiquement abject. On ne peut jamais répondre à une dérive idéologique par une idéologie alternative, mais bien plutôt par le goût de la vérité. Les grands modèles que constituent les penseurs antitotalitaires du vingtième siècle, tous ceux qui ont combattu le plus efficacement le nazisme et le communisme soviétique, l’ont montré : c’est avec l’exigence de la lucidité qu’on arrive à faire s’effondrer les mensonges, pas avec une contre-propagande.
Il y a dans notre paysage médiatique aujourd’hui une prime au slogan, à la provocation, à la facilité. C’est un des grands sujets qui devraient nous inquiéter pour l’avenir de la liberté. Car les conditions de la démocratie sont complexes : il ne suffit pas qu’il y ait des votes pour qu’il y ait une démocratie. Et l’une de ces conditions, c’est qu’il puisse y avoir un dialogue éclairé entre les citoyens pour qu’ils soient authentiquement libres de leurs arbitrages et de leurs décisions. Or aujourd’hui, le paysage médiatique est construit d’une telle façon qu’il accorde aux sujets une attention qui est inversement proportionnelle à leur importance ou à leur complexité. C’est très préoccupant.
Une autre chose importante à rappeler est que le politique a sa part de responsabilité dans cet état des lieux : on n’hérite pas seulement d’un certain état de l’opinion, on crée aussi dans le public ce qu’on veut susciter en lui. Il y a un très beau texte de Alain dans les Propos d’un normand qui vaut autant pour l’enseignement que pour la vie politique : si vous pensez qu’un élève est stupide, estime Alain, il le sera. Mais si vous pariez sur son intelligence, il vous donnera raison. « Le peuple, méprisé, est bientôt méprisable ; estimez-le, il s’élèvera. »

Est-il difficile d’être catholique dans un monde politique où la religion est ignorée, voire caricaturée ou rejetée ?
Je suis fasciné par la fascination que représente le fait d’être catholique pour beaucoup de gens dans le monde politique et médiatique. C’est en tous les cas un sujet d’étonnement inépuisable. J’assume paisiblement ma foi, mais je n’en ai jamais fait un étendard. Je ne prétends pas du tout représenter les catholiques en politique – je suis d’ailleurs bien placé pour savoir que leurs choix politiques ne sont pas univoques, et tant mieux ! La grande force de la foi chrétienne est justement de n’être jamais réductible à un programme politique. On peut ainsi être authentiquement catholique et avoir des idées très différentes sur la meilleure manière de répondre au défi migratoire, au désendettement du pays ou à la décarbonation de l’industrie. Et c’est sans doute quelque chose qu’il faut défendre aujourd’hui, en particulier dans un moment où se développe en France la pratique musulmane qui, elle, ne connaît pas cette distinction entre le spirituel et le temporel.

L’Union européenne

Être député européen a-t-il changé votre vision de l’Europe ?
J’ai évidemment beaucoup appris, mais je ne crois pas avoir changé radicalement de perspective. Je continue de penser que l’Union européenne est aujourd’hui le synonyme d’une forme de dépossession pour les citoyens des pays européens, dépossession de leur capacité à maîtriser leur destin. Et je crois qu’elle devrait au contraire trouver tout son sens dans le fait de les rendre plus libres et plus maîtres de leur avenir. Pour y parvenir, il faut qu’elle connaisse une remise en cause extrêmement profonde.

Justement, fort de cette expérience de député, pensez-vous qu’un homme politique puisse changer les choses de l’intérieur dans le cadre de l’Union européenne ?
Oui : je n’ai pas le sentiment d’avoir passé mon mandat, comme beaucoup de mes collègues d’autres groupes politiques, à consentir ou à commenter ; ce qui rend le mandat au Parlement européen intéressant, c’est qu’avec du travail et la patience qu’il faut pour construire des alliances, il est possible d’agir. Nous avons mené, et parfois gagné, des batailles majeures. Sur l’énergie nucléaire par exemple : nous avons empêché l’asphyxie de la filière nucléaire française par les règlements sur la taxonomie, et je crois pouvoir dire que j’y ai contribué de façon très directe, quand bien même tout le monde me promettait une défaite. On a parfois le sentiment d’assister, impuissants, à la déconstruction de la civilisation sur laquelle l’Europe est pourtant fondée : là aussi, nous avons réussi à mettre des crans d’arrêt importants. Je pense à l’amendement que j’ai déposé – il aura fallu s’y reprendre à plusieurs reprises, c’est toujours dans la durée qu’on gagne les combats – pour interdire à la Commission européenne de financer des campagnes faisant la promotion du hijab. Au-delà du combat contre cette dérive très concrète, cette victoire a permis de renverser une tendance : beaucoup m’ont partagé que, dans les cabinets des commissaires européens, une vigilance est désormais de mise sur le choix de leurs interlocuteurs, de leurs partenariats et leurs engagements. Tant mieux si nous avons pu faire que l’inquiétude change de camp !
Ces sujets sont essentiels, mais il faudra évidemment des ruptures beaucoup plus profondes pour changer significativement l’Union européenne. Et c’est une grande difficulté de l’engagement politique dans notre monde : on a parfois l’impression que nos victoires consistent surtout à éviter le pire, à ralentir la crise. On mène des combats de retardement, on essaie de combler des brèches et d’empêcher que le bateau ne coule trop vite. Ce n’est pas sans importance, bien sûr ; mais pour changer profondément de direction, il faudra plus que le travail parlementaire quotidien.

Que faudra-t-il alors, concrètement ? Qu’est-ce qui pourrait être réalisé pour changer cette Union européenne ?
Je crois que nous aurons d’abord besoin d’une véritable alternative politique en France. Car l’Union européenne est surtout conduite par les États membres. Le Parlement européen n’est pas à l’initiative. C’est d’ailleurs le caractère un peu éprouvant de cette expérience : on reçoit des textes qui nous viennent déjà écrits par la Commission et dont les États membres ont eu l’initiative. Quand les Français se plaignent de l’Europe, ils doivent se souvenir qu’ils se plaignent d’abord de l’Europe que construit le gouvernement français. Et donc si nous rebâtissons une véritable alternative politique pour notre pays, nous pourrons faire en sorte que les choses changent structurellement au niveau européen.

Vous parliez tout à l’heure de l’importance pour un député de pouvoir agir et pas simplement consentir ou commenter. À cet égard, est-il important qu’il y ait une délégation française au PPE – et donc très concrètement des parlementaires LR au Parlement européen ?
Je crois que c’est fondamental, même si les Français ne sont pas forcément conscients de ces enjeux. Les Républicains appartiennent au PPE, qui est la première formation politique européenne. Il y a donc une équation électorale qui rend le vote LR spécialement utile, même si cela ne saurait suffire à fonder un vote.
Le débat européen a complètement ignoré la fin des clivages rêvée par Emmanuel Macron ; il est toujours structuré autour d’un clivage gauche-droite qui va se renforçant. Tendance par exemple accrue par l’actuel rapprochement du PPE avec les forces conservatrices, par exemple avec le parti Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni, avec lequel il discute aujourd’hui pour construire un vrai pôle politique qui puisse demain être majoritaire au niveau européen. Il est absolument clé que la France puisse être représentée dans ce qui est, dans ce qui va être le lieu de l’action politique la plus efficace et la plus influente. Et, par contraste, force est de constater que nos collègues du Rassemblement national par exemple, dans la mécanique des votes internes au Parlement, qui est aussi le résultat de leurs propres choix politiques, n’ont pas fait adopter un seul amendement en cinq ans, ni un seul texte. Ils n’ont pas gagné une seule bataille dans l’enceinte du Parlement européen.
Mais encore une fois, on ne peut pas demander aux électeurs de raisonner avec des calculs d’efficacité. Car je ne crois pas qu’une majorité d’entre eux se déterminera en se disant, comme Machiavel : où est le plus grand effet de levier possible ? De plus, c’est à nous de leur présenter une ligne politique claire à laquelle adhérer, à nous de faire en sorte qu’ils soient convaincus, pour pouvoir être représentés là où cela compte vraiment de l’être.

Politique française

Vous incarnez un certain électorat conservateur : quel espace politique voyez-vous pour cette ligne ?
Je pense que la grande majorité des Français est conservatrice sans le savoir ! C’est le projet de nos adversaires intellectuels qui est ultra-minoritaire. L’immense majorité des Français ne se préoccupe pas, comme Monsieur Beaune, de savoir quand on va légaliser la GPA ; la plupart des Français demandent plus d’avoir de nouveau accès à des médecins, que d’avoir accès à l’euthanasie. La plupart des Français se préoccupent d’abord de savoir comment prendre soin de la vie, avant de savoir comment la changer. Et de ce point de vue-là, il y a certainement un bel avenir électoral pour le conservatisme, si on sait le proposer d’une manière qui ne soit pas caricaturale ou désincarnée.

On souligne beaucoup aujourd’hui l’impuissance de la politique à l’heure des géants mondiaux économiques, des grandes puissances géopolitiques, des directives européennes : la politique est-elle encore le lieu architectonique du pouvoir ?
C’est vraiment une question décisive. Beaucoup de cette impuissance politique a été organisée par le politique lui-même in fine. L’essentiel de la dissolution de la souveraineté est le fait du souverain lui-même, à tous les échelons, et d’abord au niveau institutionnel. Par exemple, via la complexification infinie des administrations territoriales. Ou via le pouvoir accordé – par le politique ! – aux juges. Rien de tout cela n’est irréversible, et je pense que le politique peut reprendre le pouvoir qu’il s’est lui-même retiré. Mais encore faut-il le vouloir. Le principal problème du politique est aujourd’hui dans le vouloir plus que dans le pouvoir. On assiste à une forme de fatigue de la responsabilité, qui explique sans doute cette abdication quotidienne par le politique de son propre devoir.
Le vrai grand défi pour la souveraineté politique, c’est, à mon sens, la question de la technique, de la technologie. C’est ce que pressentaient déjà Heidegger et toute une partie de la philosophie du XXe siècle, qui avait anticipé que la technique allait chercher à se substituer à la politique et que son règne devait mettre en échec la souveraineté dans ses formes traditionnelles. Nous nous trouvons dans une situation inédite et assez inquiétante, dans laquelle le politique semble être réduit à administrer les transformations du monde qui se jouent ailleurs, dans le champ de la technique.

Pour beaucoup de nos contemporains, un des défis majeurs est l’islam. Est-ce à vos yeux un vrai danger ?
L’islam remplit aujourd’hui les vides que nous laissons derrière nous. Et l’islam qui progresse le plus en Europe n’est pas une alternative très structurée sur le plan intellectuel : j’ai vu mes élèves souvent attirés par une pratique très schématique, remplie de stéréotypes et d’interdits, mais qui leur offre le cadre stable que notre effort de déconstruction a fini par totalement détruire. L’islam leur apporte une alternative rassurante, apaisante. Simple peut-être, simplificatrice même, mais en tout cas facile à vivre pour des jeunes en quête de repères. C’est Alain Finkielkraut qui terminait La défaite de la pensée en disant que son inquiétude pour demain était l’affrontement du fanatique et du zombie. Je suis un peu hanté par cette phrase, qui pourrait bien résumer le face-à-face auquel nous risquons d’assister : des « hommes déconstruits » face à des djihadistes.

Espérer, le nouveau livre de François-Xavier Bellamy

Vous venez de faire paraître Espérer. Ce livre était-il pour vous une respiration philosophique pour élever nos regards un peu au-dessus du monde actuel ? Ou bien répondait-il à une urgence très actuelle ?
Peut-être un peu des deux. Ce livre est d’abord né des « Soirées de la philo », un cycle de conférences que j’ai créé il y a dix ans [1] et que je continue d’animer à Paris.
Son but est très modeste puisqu’il s’agit d’abord de partager des textes, des auteurs, de transmettre une culture philosophique, comme le ferait un professeur de terminale. Mais cela correspond aussi à un besoin profond de notre monde, qui rejoint ce que le langage trivial appelle une quête de sens. Tout le monde est « en quête de sens ». Nous avons besoin de retrouver les mots à poser sur les questions auxquelles nous sommes confrontés. Et sans doute la tradition philosophique la plus ancienne peut-elle être une réponse à la soif du monde contemporain. Le grand diagnostic derrière cette conviction, c’est que la crise contemporaine n’est pas d’abord une crise de la foi, mais une crise de la raison, et que la crise de la foi est d’abord une crise de la raison. Et en ce sens, la philosophie peut être un outil pour faire venir la raison commune jusqu’à ce monde qui semble parfois l’avoir un peu abandonnée.

Et justement, puisque la raison, c’est l’arme de la philosophie, pourquoi vouloir parler spécifiquement de l’espérance du point de vue de la philosophie ?
J’ai essayé de montrer que l’espérance n’est pas seulement une vertu théologale. Elle est accessible à tous ceux qui cherchent, à l’aide de leur raison, à s’engager dans le monde. L’espérance n’a rien à voir avec l’optimisme, et c’est ce que j’ai tenté d’expliquer. L’optimisme est le meilleur déguisement de l’irresponsabilité et de l’inconséquence, puisqu’il consiste à supposer que, quoi qu’il arrive, tout se terminera bien. L’espérance au contraire choisit de regarder ce monde lucidement, en y distinguant les indices qui nous disent que rien ne va plus, mais avec la volonté de miser jusqu’à sa vie sur le fait que le bien est encore possible. La philosophie est justement cette réflexion qui touche à la question de l’histoire, à l’expérience de la violence et du mal, mais aussi à la recherche du bien, du souverain bien. La philosophie peut nous permettre de conquérir cette attitude intérieure qu’est l’espérance.

Propos recueillis par Christophe et Élisabeth Geffroy

[1] À cette occasion, F.-X. Bellamy organise la « Nuit de la Philo » à L’Olympia, ce lundi 9 octobre, NDLR. Renseignements : www.philia-asso.fr

© LA NEF n° 362 Octobre 2023